La Baraque
Habiter, c’est une priorité, une urgence, un besoin, une évidence. Chacun achète, construit, clôture, s’isole. On veut du grand, du beau, du solide.
Habiter, cela va de soi. Pas pour tout le monde…
Au début des années 80, des étudiants se sont posés la question: habiter, oui; mais où, comment et avec qui ? Ils se sont ré-approprié le geste primitif d’occuper une terre vierge et d’auto-construire. Ils ont choisi un mode de vie collectif: ils sont responsables de tout, ensemble. Ils ont construit des petites maisons en bois, en verre, en terre-paille, ils ont installé des roulottes colorées, dessiné des sentiers, sous le regard tolérant mais fragile des pouvoirs publics et de l’université.
Ils sont tous sédentaires. Certains artistes, d’autres jeunes cadres dynamiques. Ils vivent seuls, en couple ou en famille. L’habitat se veut léger, sobre, écologique. Le confort est simple et chaleureux. Ils jardinent et mangent bio, se chauffent au bois et recyclent leur toilette sèche. Dans « le Jardin », « le Talus » ou « les Bulles », il n’y a ni voiture, ni clôture. « On prend le temps de voir son voisin. Je sors de chez moi et je suis chez l’autre » me dit Zuzana. Le poids de cette liberté, c’est de s’entendre. Les conflits sont classiques, comme dans tout quartier. Il n’y a pas de règles écrites. Une décision est jugée bonne lorsque que tout le monde la trouve…bonne. Cet art du dialogue et du consensus demande un certain savoir-faire : savoir ce que l’on veut, pouvoir le dire et pouvoir entendre les besoins des autres. Quarante ans plus tard, cela fonctionne encore. Certains sont partis, d’autres sont arrivés. Ils sont aujourd’hui cent-vingt, posés discrètement, encerclés par la forte pression urbanistique d’une ville en croissance.
Zuzana a quitté sa République Tchèque et s’est installée par amour il y a onze ans dans une jolie roulotte aux parfums d’encens et de thé vert. Aujourd’hui elle y vit seule et a repris des études en cinéma d’animation. « Vivre au quartier m’a permis de me recentrer, de me former. J’y ai trouvé une deuxième famille».
« Vivre en roulotte, c’est sentir la pluie, le soleil ou le vent. La nature en nous un peu plus proche, un désir de vie commune, moins de besoins, mois de surplus, revenir à l’essentiel. Moins d’espace, mais une vie intérieure qui voyage avec les nuages. Et surtout vivre dans un quartier qui réfléchit à un habitat léger mais immortel où le dialogue est aussi vital qu’un soupir, et qui vit justement autrement. » Juliette et Ludovic
Boris et Sandra ont acheminé le « 138B Charleroi-Florennes » pour un arrêt définitif au milieu du « Jardin ». Ils ont construit l’annexe en terre-paille lorsque la famille s’est agrandie.
Olivier vit dans l’un des bulles géodésiques du quartier. Sa bulle est son espace, à la fois chambre et bureau. Il partage repas, soirées, concerts et discussions avec les membres du collectif dans la grande bulle commune. “Habiter dans une bulle c’est être plus libre. On s’organise ensemble malgré nos fortes différences. De manière responsable, éclairée. C’est un mode de vie respectueux, tolérant et anarchique. Je n’ai pas besoin d’un système qui m’enferme et me dicte ma façon de vivre. Je sais ce que j’ai à faire pour moi-même et les autres. Et je le fais quand c’est mon moment.“
Mon projet photographique est le fruit des rencontres simples au hasard des mes promenades à la Baraque depuis 2011. C’est un dialogue noué avec des familles qui ont partagé leur quotidien et leur intimité. C’est un regard sur un lieu qui change de couleur et qui évolue au fil des saisons. Mais également un regard citoyen sur ce groupement alternatif qui lutte contre la spéculation immobilière. L’expropriation et l’abattage récents de maisons, de roulottes et d’arbres centenaires ont violement modifiés le paysage et l’organisation du quartier. Les pelleteuses des promoteurs sont en action en vue de construire un gigantesque parking et d’étendre la dalle en béton de la ville piétonne sur laquelle viendront s’empiler 600 logements de standing et commerces. Un projet ambitieux et juteux à la lisière de ce quartier unique qui a su préserver ses utopies et qui vient de fêter ses 40 printemps.
© Virginie Limbourg