Nimse
« Bienvenue en Guinée, ici la pluie n’empêche pas les rendez-vous ». Ainsi commence mon reportage sur les mutilations génitales féminines (FMG) en compagnie de l’association Femmes Africaines. Ce projet m’emmène dans les villages à la rencontre de femmes et d’enfants victimes de cette tradition très ancrée dans cette région. A la rencontre de fillettes qui ne comprennent pas le rituel de passage qu’elles viennent de subir. Elles savent seulement qu’elles sont désormais semblables à leurs ainées: pures, respectables, prêtes à être mariées. A la rencontre d’anciennes exciseuses: elles s’excusent et d’un geste pudique remontent leur voile pour couvrir leur honte. Elles ont pris l’engagement de «déposer les couteaux» et se sont reconverties dans un autre métier. A la rencontre d’exciseuses actives: peu instruites, mal informées sur les conséquences néfastes de leur pratique, elles exercent en toute illégalité et en toute impunité. A la rencontre des sages-femmes: elles tentent de limiter la mortalité infantile et maternelle lors des accouchements, conséquences des FMG. Conseillères et confidentes des femmes, elles sont des relais puissants dans la lutte contre les mutilations. Eradiquer cette pratique est une ambition à long terme. La démarche est fastidieuse et souvent décourageante. Il ne s’agit pas d’imposer mais d’informer et de convaincre pour permettre aux communautés locales de prendre des décisions par elles-mêmes, et d’abandonner les pratiques nocives pour leur santé, leurs droits humains et leur avenir.
“Welcome to Guinea, the rain here does not stop play.” This was the beginning of my reportage on female genital mutilation (FMG). This journey has taken me to the villages of Guinea to meet women and children victims of this entrenched tradition in certain parts of Africa. I meet girls who do not understand the rite of passage that they have just suffered. All they know is that they are now like their elders: pure, respectable, ready to be married. I meet former circumcisers: they cover their head with their veils – a humble gesture to show remorse. They pledge to “lay down their knives” and have found other professions. I meet active circumcisers: poorly educated, poorly informed about the harmful consequences of their practice, operating illegally and with impunity. I meet the midwives who attempt to limit the infant and maternal mortality during childbirth – the devastating consequences of FMG. They are counsellors. They are trusted confidentes. They are powerful force in the fight against mutilation. Eradicating this practice is going to take time. It is going to take persistence and strength. Local communities will need to be empowered to evoke change for themselves and to stop this harmful practice for their health, their human rights and their future.
© Virginie Limbourg. Textes et photos.
Déscolarisée et mariée de force à l’âge de 13 ans, la jeune femme a accouché d’un petit garçon l’année suivante. « Le jour de mon mariage j’ai tellement pleuré que je ne peux pas te l’expliquer… J’ai perdu ma dignité. » Son excision, elle ne s’en souvient pas, elle avait à peine deux ans.
Uneducated and forced to marry at the age of 13, this girl gave birth to a boy the following year. “The day of my wedding no words can express how much I cried … I lost my dignity. “ She does not remember her mutilation. She was barely 2 years old.
« Nimse… regrets… C’est le mot qui me hante quand je pense à mon ancien métier d’exciseuse. J’ai excisé un groupe de 7 filles dans cette maison. L’une d’elle en est morte. C’est ce qui m’a motivé à arrêter. L’excision, c’est pas bon pour les filles. Je l’ai fait pendant plus de 20 ans. Je regrette. » Une exciseuse reconvertie en teinturière.”
“Nimse … I regret … This is the word that haunts me when I think of my former profession. I once mutilated a group of 7 girls in this house. One of them died. This is what motivated me to stop. Female circumcision is not good for girls. I did it for over 20 years. I regret it. ” A former Excisor retrained as a fabric dyer.
« Les jeunes disent que l’excision est dangereuse pour la santé des femmes. Je suis vieille et j’ai le droit de mettre en doute leurs idées… Mais au fond je ne suis pas certaine …C’est peut-être bien un péché. Je vais déposer mes couteaux et partir en pèlerinage à La Mecque. Je demanderai pardon à Dieu pour les péchés que je connais …et ceux que je ne connais pas. »
“Young people say that circumcision is dangerous for women. I’m old and I have the right to question their ideas … but I have my doubts … it is perhaps a sin. I will put down my knives and go on a pilgrimage to Mecca. I will ask God for forgiveness for the sins that I know and for those I do not know.”
« Nous sommes quelques unes à avoir déposé les couteaux. Au lieu de rester les bras croisés et de perdre un revenu pour nos familles, nous avons choisi de nous reconvertir dans la teinture indigo au sein d’une coopérative. »
“We are some of those who have put down the knives. Rather than sit back and lose income for our families, we have chosen to join the indigo dye cooperative. ”
Lundi 19 août. Je suis réveillée par des chants de femmes et d’enfants. Une petite voisine vient d’être excisée. Elle est assise sur une natte à même le sol et y restera pendant plusieurs semaines. Sa tante m’explique « Moi je suis contre l’excision mais ses parents qui sont au village m’ont demandé de le faire. Si c’est le choix des parents, je ne peux rien faire. »
I wake to the songs of women and children. A young neighbour, has been cut. She is sitting on a mat and will remain there for several weeks. Her aunt tells me “I am against the practice but her parents asked me to do it. It is their choice. I can do nothing.”
Une jeune exciseuse revient d’un petit village, elle y a excisé un groupe de 50 fillettes en échange de quelques billets, de l’or, des noix cola et des cadeaux. De sa besace, elle extrait des lames chirurgicales achetées sur le marché. “Arrêter le métier ? Oui, si je fais un autre commerce qui me permet de vivre…”
A women has just come from a village where she has excised a group of 50 girls in exchange for a few notes, some gold, cola nuts and gifts. She has purchased her knives on the market. She takes them out of her bag to show me and says. “Stop the profession? Why not. If I can find another job.”
Un groupe d’exciseuses prend l’engagement d’arrêter le métier et de « déposer les couteaux » qui leur servaient d’instruments. Cette cérémonie est un moment rare en Guinée. La fête est orchestrée par des chants, des danses, des gestes symbolique et des simulacres.
A group of former circumcisers perform a ‘drop the knives’ ceremony. They sing, they dance, they mock. These ceremonies happen seldomly in Guinea.
Il est possible de traverser un village ou une cour sans voir les signes discrets de l’excision. Lorsque l’on y prête attention, les symboles sont en réalité omniprésents et révèlent l’ampleur du fléau. On remarque alors la ceinture rouge et blanche que les filles portent autour de leur pagne, le fin collier autour de leur cou, signe que le rite de passage a été pratiqué.
You can cross a village or a courtyard without noticing the subtle signs of female mutilation. But if you pay attention, the symbols are there and reveal the true extent of this widespread practice. The red and white belt that girls wear around their loincloths, the thin collar around their necks – all indicate that this “rite of passage” has been practiced.
Pendant les vacances scolaires, les petites filles sont enlevées par les membres de la grande famille et regroupées dans un village pour y être mutilées ensemble. Elles séjournent chez une “marraine” pendant plusieurs semaines, le temps nécessaire à la cicatrisation et à la collecte en vue de préparer la grande fête au village.
During school holidays, young girls are often taken by members of their family. They are gathered in one village. They are mutilated together. After the act they stay with a guardian for several weeks: the time required for healing and for collecting money to organize the festivities.
“Avant l’interdiction de l’excision, on coupait beaucoup chez la femme. La cicatrisation était très difficile et provoquait beaucoup de dégâts lors des accouchements. J’ai vu des horreurs. On coupe un peu moins maintenant mais les accouchements restent encore très risqués. Il y a encore beaucoup trop de complications.” Une accoucheuse à domicile.
“Before the ban on female circumcision, they cut women a lot. Scarring was very difficult and caused a lot of damage during childbirth. I have seen horrible things. We cut less now but deliveries are still very risky. There are still too many complications. ” A community midwife.
« Quand j’entends dire que la tradition est plus importante et qu’une femme non excisée est vulgaire, moi je réponds que tout ce qui est né avec nous est important. » Une sage-femme.
“When I hear that tradition is important and that an uncircumcised woman is vulgar, my answer is that everything that we are born with is important. ” A midwife.
©Virginie Limbourg. Remerciements: Frédéric Pauwels, Femmes Africaines, Maison Pluielle et toutes les femmes rencontrées.